lundi 27 avril 2020

Codex Mussolini


En septembre 2016,  plusieurs agences de presse annoncèrent hâtivement que des archéologues venaient de découvrir sous l'obélisque du Foro italico, à Rome, le testament politique de Musolini, rédigé en latin ; il était au secret depuis 84 ans.
Renseignement pris, je découvrais qu'il n'y avait jamais eu de fouilles archéologiques au Foro Italico, encore moins sous l'obélisque qui pèse 300 tonnes ; quant au testament politique, il était bien rédigé en latin, mais si peu secret que 2 organes de presse fascistes l'avaient publié en 1932, et que des concours de traduction  avaient eu lieu dans les lycées à l'époque.
Depuis, les journaux ont rectifié ces approximations, quelquefois en antidatant les articles désormais disponibles sur le net (par exemple  https://www.bbc.com/news/world-europe-37230455). Mais on peut encore lire des erreurs  manifestes, comme  ici  par exemple :
https://www.ilprimatonazionale.it/cronaca/mussolini-messaggio-posteri-49642/ : "La scoperta del testo (scritto in latino), scritto su pergamena, è opera di due studiosi olandesi, Bettina Reitz-Joosse dell'università di Groninga e Han Lamers dell'università di Lovanio, che lo hanno trovato seppoloto insieme a monete d'oro nel basamento del monumento, realizzato nel 1932 in occasione dei 10 anni dalla marcia su Roma. "
Tout ce bruit fut provoqué par une publication de deux  chercheurs néerlandais : Lamers Han, Reitz-Joosse Bettina, The Codex Fori Mussolini : A Latin Text of Italian Fascism, London, New York, Bloomsbury Academic, 2016. Jeunes chercheurs en histoire et en latin, ils ont ainsi assuré leur entrée dans les médias, et fortement accéléré leur carrière.
Les deux auteurs de l'ouvrage ont, à juste titre, beaucoup commenté le choix du monument, un obélisque, le replaçant dans la tradition architecturale romaine antique. Le transport du monolithe, en une seule pièce, fut un exploit que le latin du codex détaille d'ailleurs ; mais Lamers et Reitz-Joosse n'ont pas effectué le rapprochement de cette odyssée lithique, suivie par toute l'Italie de l'époque grâce aux actualités filmées,  avec le transport du rocher sur lequel, au XVIIIe siècle, le tsar Pierre le Grand fit installer sa statue équestre. De même, on se demande pourquoi ils ont omis de commenter cette baroque cérémonie d'enfouissement : les familiers de l'histoire romaine antique savent que le Forum Romanum fut de nombreuses fois le lieu d'enfouissements religieux. 
Quoi qu'il en soit, leur ouvrage est intéressant, notamment parce qu'il présente une version complète du Codex en latin, oeuvre d'un éminent latiniste de l'époque, Aurelio Giuseppe Amatucci (1867-1960), spécialiste de Plaute, et qui ne semble pas avoir souffert après-guerre de son passé fasciste. Pour l'anecdote, une rue existe encore à son nom dans le sud-ouest de Rome. Le Codex a été publié 4 fois dans les années 1930 : 2 fois dans des publications pour la jeunesse de l'organisation des Balillas, et 2 fois dans la célèbre revue pédagogique italienne Scuola e cultura (qui deviendra après-guerre Cultura e scuola). Le Codex, ce que nos auteurs néerlandais n'ont pas assez analysé non plus, est donc une production didactique destinée à la jeunesse fasciste contemporaine du Duce, mais aussi à la jeunesse future.
Voici, après les photographies,  la première moitié du texte latin, dont j'ai parfois un peu modifié la ponctuation ou quelques mots ; initialement, je voulais en fournir une traduction française, mais la présence de trop nombreuses majuscules destinées à honorer le dictateur Mussolini a fait disparaître ma bonne volonté. 

L'inauguration de l'obélisque, en 1932.
L'obélisque, à l'époque fasciste. 
En juillet 2019.

Rome, juillet 2019. 

Codex fori Mussolini

Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo

Virgilius, Ec. IV, 5.

Bellum maxime omnium memorabile quae unquam gesta essent ab anno MCMXIV ad annum MCMXVIII tota paene Europa exarsit, quod, cum et aliae gentes vel armis vel opibus pugnantes adiuvissent fereque omnes anxia mente fuissent, totius orbis terrae bellum factum atque appellatum est.
Huic quidem bello Itali, quamvis paulo ante tot post casus hostibus devictis tyrannisque expulsis denique in populi unius corpus liberi coaluissent seseque vix firmassent, cum populis qui pro rei publicae salute iure ac legitime, sed tum incerto Marte, pugnarent interesse statuerunt atque patriae fines ex aliorum dominatu vindicare. Veterum autem malorum memores et qua sunt virtute atque humanitate asperrima quaeque perpessi neque vitae neque impensae pepercerunt ubi sociisque victoriam comparerent, quam ingenti hostium exercitu profligato egregiam denique sunt adepti.
Sed hominum qui tum Italorum publicis rebus praeerant, alii ad civium vel exterarum gentium ambitiosas voluntates nimis pavidi, alii opinionum commentis deliri, utpote qui vel omnia civibus tribuerent nihil patriae vel patriam ipsam omnino esse negarent, pessime tam praeclara tantoque sanguine parva victoria usi Italiam in summum discrimen adduxerunt ut optimus quique civis eius saluti jam desperaret.

Ea tempestate caelesti quodam nutu atque numine VIR exstitit, qui singulari acie ingeni animoque firmissimo praeditus et ad omnia fortia facienda ac patienda paratus, non solum res inclinatas eversasque in pristinum restituere sed etiam Italiam illam, quam veteres Romani orbis terrarum lumen effecissent, Italis reddere divina mente concepit consiliisque facta adaequare est aggressus. Qui vir fuit

BENITUS MUSSOLINI.

Hic quidem cum primum patriae caritate victus bellum civibus acriter suasisset, deinde miles strenue in acie pugnasset sanguinemque effudisset, victoria parta fasces, qui veterum Romanorum pristinas virtutes adumbrarent, instaurandos decrevit atque instauravit.
Inter omnes quidem satis constat BENITUM MUSSOLINI, ex quo summam rerum suscepit, cum cives omnes suo sagaci subtilique sensu Italae gentis virtutum captos secum traheret, effecisse ut ii quam maximas utilitates ex belli victoria caperent atque inter ceteras gentes honestissimum locum obtinerent. Nec ullum fugit Illum diuturna controversia dirempta rei publicae Summi Romani Pontificis amicitiam iusto foedere conciliasse, patriae exercitum ornatissimum cum maritima et aeria classe quam optime instructa comparasse legemque tulisse ut qui aliquam artem profiterentur itemque fabricatores ac fabri omnes in collegia vel societates coirent, quae tamen cum re publica arte cohaerent ne causa esset quare odiis inter sese ac simultatibus conflictarentur et cum omnium civium detrimento in suis studiis atque operibus cessarent.
Praeterea puerorum et adulescentium disciplinam novis legibus et peropportunis institutis moderatus est, artium studia atque doctrinas omnino provexit ; Italiae urbes, in primis Romam, magnificis iisque utilibus aedificis exornandas, quam plurimas vias muniendas, cum omnium temporum tum maxime antiquitatis monumenta reficienda vel effodienda curavit. Agri culturae autem prospexit atque consuluit ita ut loca diu inculta et pestifera brevi feracia ac salubria fierent ; colonias armis praescriptique firmavit ; Italorum nummo stabile pretium fecit eosque quantum potuit angustiis, quibus ceterae gentes laborant, levavit.
Neque vero, cum tot tantaque negotia sustineat, celebrari vel tantum enumerari possunt singula quae gesserit ut res Italas omnino tutaretur, legibus emendaret, moribus ornaret utque cives omnes in officio contineret.
Denique tanti VIRI salubri consilio, summa prudentia, certissima voluntate, peropportuna opera rem publicam nunc demum habemus quae nulla erat a.d. V Kaal. Nov. a. MCMXXII, cum regnante Victorio Emanuelle III Itali sibi Italiam obtinuerunt novusque ab integro saeculorum ordo eis natus est. 


mardi 7 avril 2020

Pestilentia nigra


Année 1348 (du 20 avril 1348 au 11 avril 1349)





Cette année-là, le peuple de France et le monde quasi dans son ensemble furent frappés cette fois non par la guerre mais par la pestilence. A la faim dont j’ai parlé tout au début et aux guerres que j’ai racontées ensuite s’ajoutèrent alors, dans les diverses parties du monde, la peste et les tribulations qui lui sont liées. Au mois d’août cette année-là, on vit au-dessus de Paris une étoile dans la direction de l’Ouest, très grande et très claire après l’heure de vêpres  , alors que le soleil commençait à baisser. Elle n’était pas très loin au-dessus de notre hémisphère, mais au contraire paraissait assez proche de nous, contrairement aux autres comètes. Le soleil tombait, la nuit approchait, elle ne bougeait pas. Quand la nuit vint, nous vîmes, moi et mes frères  , cette très grosse étoile éclater en plusieurs rayons qu’elle projeta sur Paris et vers l’orient avant de se désintégrer totalement. Bien des gens s’en émerveillèrent avec nous. S’il s’agissait d’une comète ou d’un autre phénomène formé d’exhalaisons d’air et par la suite dissoute sous forme de vapeurs, je laisse aux astronomes le soin d’en décider. Mais il est bien possible que ce fut le présage de la pestilence qui allait bientôt venir à Paris et dans toute la France, comme ailleurs.

1) Unde eodem anno Parisius et in regno Franciae, et non minus, ut fertur, in diversis mundi partibus, et in sequenti anno, fuit tanta mortalitas hominum utriusque sexus, et magis juvenum quam senum, quod vix poterant sepeliri, et vix ultra duos vel tres dies in firmitate jacebant, sed subito et quasi sani obiebant ; unde qui hodie erat sanus, cras mortuus, ad foveam portabatur. Habebant enim subito bossas sub assellis vel utrum pluribus in inguine, quibus insurgentibus erat infallibile signum mortis : et haec infirmitas seu pestilentia a medicis epidemia vocabatur. Tanta autem abundantia populi tunc, videlicet anno Domini MCCCXLVIII et MCCCXLIX, decessit, quod nunquam auditum, neque visum, neque lectum erat in temporibus jam retroactis. Et veniebat mors praedicta et infirmitas ex imaginatione vel societate ad invicem et contagione ; nam qui sanus infirmum aliquem visitabat, vix aut raro mortis periculum evadebat.

1) Cette même année, à Paris et dans le royaume de France, comme dans les autres parties du monde, ainsi que l’année suivante, il y eut une telle mortalité d’hommes et de femmes, plutôt les jeunes que les vieux, que l’on pouvait à peine les ensevelir. Ils n’étaient malades que deux ou trois jours et mouraient rapidement, le corps presque sain ; qui aujourd’hui était en bonne santé, demain était mort et porté en terre. Ils avaient tout d’un coup des grosseurs sous les aisselles et dans l’aine – ou les deux – et l’apparition de ces grosseurs était un infaillible signe de mort. Cette maladie ou peste était appelée épidémie par les médecins. Il y eut durant ces deux années 1348 & 1349 un nombre de victimes tel que l’on ne jamais entendu dire, ni vu, ni lu dans les temps passés.

2) Unde in multis villis parvis et magnis sacerdotes timidi recedebant, religiosis aliquibus magis audacibus administrationem dimittentes, et breviter in multis locis de viginti hominibus non remanserant duo viventes. Tanta enim fuit in Domo-Dei Parisius mortalitas, ut per magnum tempus, ultra quingenti mortui omni die ad coemeterium sancti Innocentii Parisius ad sepeliendum in curribus devotissime portabantur. Et illae sanctae sorores Domo-Dei, mori non timentes, infirmos dulcissime et humillime omni horrore postposito pertractabant ; quarum multiplex numerus dictarum sororum, saepius renovatus per mortem, in pace cum Christo, ut pie creditur, requiescit.

2) La maladie et la mort venaient aussi par imagination, relation et contagion, car celui qui était en bonne santé et visitait un malade échappait rarement au péril de la mort. Aussi, dans beaucoup de villes grandes et petites, les prêtres frappés de crainte s’éloignaient ; quelques religieux, plus courageux, administraient les sacrements, et bientôt, en beaucoup d’endroits, sur vingt habitants il n’en restait que deux en vie. La mortalité fut si grande, à l’Hôtel-Dieu, à Paris, que, pendant longtemps, on portait chaque jour dévotement sur des chariots, pour les ensevelir au cimetière des Saints-Innocents, plus de cinq cents cadavres. Et les saintes sœurs de l’Hôtel-Dieu, ne craignant pas la mort, soignaient jusqu’au bout les patients avec la plus grande douceur et humilité, sans tenir compte de l’horreur de la maladie ; beaucoup desdites sœurs, plus d’une fois renouvelées par les vides causés par la mort, reposent, comme on le croit pieusement, dans la paix du Christ.

3)Dicta autem mortalitas, ut dicitur, inter incredulos inchoavit, deinde ad Italiam venit ; postea montes pertransiens ad Avinionem accessit, ubi etiam aliquos dominos cardinales invasit ; totam familiam tunc ab ea abstulit. Deinde per Vasconiam et Hispaniam paulative de villa ad villam, de vico ad vicum, et ultimo de domo ad domum, imo de persona ad personam inopinate ad has partes gallicanas accedens, usque ad Alemannos transivit, minus tamen ad ipsos quam apud nos. Durante tamen epidemia dicta, Dominus tantam gratiam ex sua pietate conferre dignatus est, ut decedentes, quamquam subito, quasi omnes laeti mortem exspectabant. Nec erat aliquis quin confessus et cum viatico sacratissimo moreretur ; et, quod plus ad bonum decedentium fuit, dominus papa Clemens VI, in quamplurimis civitatibus et castris, absolutionem a poena e culpa decedentibus per suos confessores dedit misericorditer et concessit ; unde libentius obiebant, haereditates multas et bona temporalia ecclesiis et religiosis dimittentes, quia haeredes propinquos et liberos ante se mori videbant.  

3) Ledit fléau, à ce que l’on dit, commença chez les mécréants, puis vint en Italie ; traversant les monts, il atteignit Avignon où il frappa même quelques cardinaux et décima tout leur entourage. Puis, peu à peu, à travers la Gascogne et l’Espagne, de ville en ville, de bourg en bourg, finalement de maison en maison et de personne à personne, il arriva en France à l’improviste et parvint en Allemagne, pourtant moins terrible là-bas que chez nous. Durant cette épidémie, le Seigneur, dans sa compassion, accorda une telle grâce aux agonisants que presque tous, au dernier moment acceptaient leur mort subite avec joie. Et nul ne trépassait sans s’être confessé et avoir reçu le saint viatique ; et qui plus est, pour bien des mourants, en beaucoup de cités et châteaux notre Saint Père le pape Clément fit donner par ses confesseurs aux moribonds absolution totale de peine et de châtiments. Ils en mouraient plus volontiers, laissant à l’Église et aux religieux quantité d’héritages et de biens temporels, car ils avaient vu partir avant eux leurs héritiers, leurs proches et leurs enfants.

4) Dicebant aliqui quod haec pestilentia ex aeris infectione et aquarum oriebatur, quia tunc temporis non erat fames nec defectus victualium quorumcumque, sed abundantia magna. Unde ex hujus opinione aeris infecti et aquarum et mortis ita subitae et validae impositum fuit judaeis, quod ipsi puteos et aquas infecerant et aerem corruperant ; propter quod mundus contra eos crudeliter insurrexit, in tantum quod, in Alemania et alibi per diversas partes mundi ubi dicti Judaei habitabant, fuerunt trucidati, occisi a christianis, et cremati passim et indifferenter multa milia judaeorum. Et est mirandum de eorum et suarum uxorum firma sed fatua constantia ; nam dum cremabantur, ne orum parvuli ad baptismum convolarent, matres eorum primo in ignem projiciebant liberos, deinde post ipsos eaedem matres super eos in ignem se praecipitabant, ut cum maritis et eorum parvulis cremarentur. 

4) On disait que cette peste avait pour origine l’infection de l’air et des eaux, parce que ce n’était pas alors une époque de famine : aucun produit nécessaire à la vie ne manquait, tout était en abondance. On rendit les Juifs responsables de cette corruption de l’air et des eaux, comme de ces morts subites et nombreuses : on les accusa d’avoir empoisonné les puits et les cours d’eau, et d’avoir corrompu l’air. La cruauté du monde se déchaîna contre eux si bien qu’en Allemagne et ailleurs où vivaient les juifs, ils furent massacrés et occis par les chrétiens, et brûlés par milliers. Admirez leur constance, ferme mais insensée, comme celle de leurs femmes. Quand on les brûlait ; les mères juives, pour empêcher que leurs enfants ne fussent conduits au baptême, les jetaient d’abord dans le bûcher avant de s’y précipiter elles-mêmes afin d’être brûlées avec leur mari et leurs enfants.

On trouva aussi beaucoup de mauvais chrétiens qui, eux aussi, empoisonnaient les puits. Mais ces intoxications, à supposer qu’elles aient existé, n’auraient pas pu produire une telle peste ni tuer autant de peuple. Autre en fut la cause : la volonté de Dieu, la corruption des humeurs à l’intérieur, rendant l’air et la terre mauvais. Et peut-être de telles potions, si elles ont pu être faites, à certains endroits ont pu y contribuer aussi. Cette mortalité dura dans le royaume la plus grande partie des années 1348 & 1349. Et, quand elle cessa, beaucoup de villages et bien des maisons dans les bonnes villes demeurèrent quasi vides et privées de tout habitant. Alors bien des demeures s’effondrèrent, même de fort belles. Il y en eût plusieurs à Paris où pourtant leur ruine était moins visible qu’ailleurs.

Quand cessa cette épidémie, peste et mortalité, tous ceux qui avaient survécu, hommes et femmes, se remarièrent les uns aux autres. Les épouses conçurent plus d’enfants que d’ordinaire. Nulle ne demeura stérile, mais toutes furent enceintes. Beaucoup donnèrent naissance à des jumeaux, quelques-unes à des triplés qui vécurent. Mais, chose plus étonnante encore, les enfants nés après cette mortalité, quand leurs dents poussèrent, n’en eurent que vingt ou vingt-deux (auparavant les hommes avaient communément trente-deux dents sur leurs mâchoires haute et basse). Quant à savoir ce que signifie le nombre réduit de dents de ces enfants, je m’interroge. Peut-on penser que par une telle mortalité, qui tua un nombre infini d’hommes à qui succédèrent d’autres hommes, le monde et le siècle étaient renouvelés ? qu’il y avait en quelque sorte un nouvel âge ? Mais, hélas ! de cette rénovation du siècle, le monde ne sortit pas meilleur, mais pire. En effet, les hommes furent d’autant plus avides et avares qu’ils possédaient plus de biens qu’auparavant. Ils furent aussi plus cupides et s’en prirent les uns aux autres : procès, litiges et rixes se multiplièrent. Et cette terrible peste envoyée par Dieu ne rendit pas la paix aux rois ni aux seigneurs qui s’affrontaient. Au contraire, les ennemis du roi de France et de l’Église suscitèrent des guerres pires qu’auparavant sur terre et sur mer, et les maux partout s’accrurent et pullulèrent. L’épidémie eut cette conséquence très étonnante : bien qu’il y eut abondance de toutes choses, les prix doublèrent, aussi bien pour les objets que pour les vivres, les marchandises et les salaires des cultivateurs et des serfs. Rares étaient les domaines ou les maisons qui en ces jours avaient des réserves. La charité commença à se refroidir et l’injustice abonda ainsi que l’ignorance et le péché car on ne trouvait presque plus personne, dans les bonnes villes et les châteaux, qui pût ou voulût enseigner la grammaire aux petits enfants.

Chronique dite de Jean de Venette, éditée et traduite par Colette Beaune, Paris, le Livre de Poche, coll. «Lettres Gothiques», 2011.

Fosse commune datant de 1348 trouvée à Toulouse.