samedi 4 octobre 2025

Un peu d'archéologie romaine en Tchéquie

On croit généralement que le nord de l'Europe centrale a peu entretenu de rapports avec l'empire romain, et cela d'autant plus que l'archéologie en Tchéquie semble s'est concentrée essentiellement sur le monde celte. Mais l'article suivant, publié par l'excellente Radio Prague, ouvre des perspectives intéressantes sur la présence de Rome en Moravie. 

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Archéologie : découverte d'un camp romain dans la capitale morave.

Au cours de leurs expéditions contre les diverses tribus barbares, les armées romaines sont parvenues jusqu’au territoire de l’actuelle ville de Brno. C’est du moins la conclusion de récentes fouilles archéologiques qui ont mis au jour, dans la capitale de la Moravie, un camp romain datant du IIe siècle de notre ère.  

Il s'agit d'une importante découverte pour l'archéologie morave, et pas seulement. Les archéologues de Brno ont trouvé, grâce à des fouilles préventives liées à la construction de deux nouvelles maisons, la toute première trace de la présence de soldats romains dans la ville. Les vestiges de l'ancien camp militaire se trouvent rue Vojtova, pas très loin du centre de la métropole. L'archéologue Václav Kolařik de la société Archaia, en charge des fouilles, présente la trouvaille : 

" Ce camp date de l'époque des guerres marcomanes. Entre les années 166 et 180 de notre ère, les Romains ont été en guerre avec les tribus germaniques du Moyen Danube. Ce camp a été construit plus précisément pendant l'offensive romaine, entre 172 et 180." 

Au cours du IIème siècle, les ravages dus aux invasions des peuples barbares, et notamment germaniques, dans l'Empire romain, ont forcé les armées romaines, avec à leur tête l'empereur Marc Aurèle, à se rendre à Barbaricum, territoire au-delà du contrôle de Rome. Plusieurs camps militaires ont été ainsi construits sur le territoire de l'actuelle Moravie, la partie Est de la République tchèque, habitée par les Marcomans et les Quades. Par le passé, un camp romain a été découvert, par exemple, dans la ville du Modřice, pas très loin de Brno. C'est cependant avant tout la région de Břeclav, en Moravie du Sud, qui a été le théâtre des expéditions romaines contre les Barbares, comme l'explique Václav Kolařik  : 


P. Sima-Juriček, Anodos Supplementum 1, Trnava 2001.

"Sur leur chemin au nord du Danube, les Romains ont construit des camps qui assuraient leur avancée sur le territoire des Barbares. En République tchèque, la plus grande concentration de ces camps se trouve près des lacs de Nové Mlýny, à Mušov, et puis à Přibice et à Ivan. D'autres camps ont été découverts également en Moravie centrale, notamment à Olomouc, près des villes de Kromeřitž et de Hulin, ou encore à Jevičko."

A la différence du camp de  Mušov, où ont été construits plusieurs bâtiments en pierre, le camp de Brno ne servait que d'emplacement temporaire de petite capacité, ne pouvant héberger plus d'une unité de soldats romains. Les tentes, dressées sur une surface de plusieurs centaines de mètres carrés, étaient protégées par un rempart: 

"Il s'agissait d'un des points d'appui des Romains sur leur chemin vers Barbaricum. Cette localité se trouve au bord de la rivière Svratka, près d'un gué important. Le camp avait pour objectif la surveillance de ce gué et d'assurer ainsi aux soldats romains une avancée tranquille à l'intérieur du pays. Il a fonctionné également comme station d'approvisionnement pour les unités qui avaient déjà traversé la rivière." [...]

Radio Prague, 9 avril 2018, rédactrice Alžběta Ruschková.


Photo des fouilles du camp romain. 


lundi 1 septembre 2025

Pantaleon de Nicodémie

Pantaleon de Nicodémie fait partie des Quatorze Saints Auxiliateurs dont le culte s’est développé au XIVème siècle, après l’épidémie de Peste Noire. 
Le Vatican le présente ainsi : «Saint Pantaléon, également connu sous le nom de saint Pantalon, est l’un des martyrs les plus célèbres de la grande persécution des chrétiens sous l’Empire romain (303-305). Il est vénéré comme le patron des sages-femmes et, avec les saints Côme et Damien, il est aussi co-patron des médecins. Il fait partie du groupe des saints anargyres, ainsi appelés parce qu’ils soignaient gratuitement, sans rien demander en retour (du grec : « sans argent »). 
Selon la tradition hagiographique, transmise dans de nombreuses langues et versions depuis l’Antiquité, Pantaléon naquit à Nicomédie (dans l’actuelle Turquie) d’Eustorge, un riche païen, et d’Eubule, une chrétienne, qui l’éleva dans la foi. Après la mort de sa mère, il s’éloigna de l’Église et se consacra à l’étude de la médecine auprès du maître Euphrosynus, devenant si compétent qu’il fut appelé à servir l’empereur Maximien, ou peut-être plus probablement Galère. Le retour à la foi chrétienne fut rendu possible grâce à la rencontre avec un prêtre nommé Hermolaüs, qui vivait caché pour échapper aux persécutions. Hermolaüs, frappé par les compétences médicales de Pantaléon, l’exhorta à ne pas négliger la « science du salut ». Ce dernier fut touché par ses paroles, se convertit profondément et, en invoquant le nom du Christ, guérit miraculeusement un aveugle — ce qui mena également à la conversion de son père à la foi chrétienne. À la mort de ce dernier, il affranchit ses esclaves et distribua ses biens aux pauvres.
La jalousie d’autres médecins conduisit à sa dénonciation auprès de l’empereur, qui tenta par divers moyens de lui faire renier le Christ. Mais Pantaléon demeura ferme dans la foi. Il fut condamné à mort et ses miracles furent qualifiés de « magie ». Il survécut à plusieurs tentatives d’exécution, jusqu’à ce qu’il accepte lui-même la mort, pardonnant à ses bourreaux. D’après la tradition, une voix céleste l’appela alors Panteleimon, ce qui signifie : « celui qui a compassion de tous ». Malgré les éléments légendaires présents dans les récits hagiographiques, le culte de saint Pantaléon est très ancien. Il est attesté par Théodoret de Cyr (IVe–Ve siècle) et par Procope de Césarée (Ve–VIe siècle), ainsi que par le Martyrologe hiéronymien, datant du Ve siècle et fondé sur des textes encore plus anciens. » (https://www.vaticanstate.va/fr/etat-et-gouvernement/notes-generales/saint-du-jour/2362-27-juillet-saint-pantaleon-medecin-martyr.html )  
A sa mort, en 305, des fidèles recueillirent une fiole de son sang. Conservée à Constantinople jusqu’au XIVème siècle, cette fiole est conservée depuis le XVème siècle à Ravello, près d’Amalfi. En 1616 quelques gouttes en furent tirées pour être transmises au roi d’Espagne Philippe III. Depuis, le sang se liquéfierait en commun, le même jour, dans la cathédrale de Ravello et au monastère de l’Incarnation, à Madrid. Très populaire en Italie, le saint fut vénéré par les facétieux Vénitiens, qui donnèrent son nom à un personnage de la Commedia dell’ arte, Pantalone, d’où nous avons tiré le nom d’un vêtement bien connu. 
Un sermon lui a été consacré par Rupert de Deutz, théologien allemand du XIIème siècle (cf l’audience générale du 9/12/2009 du Pape Benoit XVI  https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20091209.html# ) et les bibliographies présentes dans ses oeuvres publiées aux éditions du Cerf (Sources Chrétiennes) ou chez l’éditeur Brepols.
 
Le texte latin est tiré de : M. Coens, « Un sermon inconnu de Rupert, abbé de Deutz, sur saint Pantaléon », Analecta Bollandiana 55, 1937, p. 244-268.
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Sermo Domni Rüberti Abbatis de eodem precioso martyre Pantaleone 

 1. « Scimus, inquit Apostolus, quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, » continuoque addit : « his qui secundum propositum vocati sunt sancti. » De quo proposito Dei, quomodo secundum illud vocati sunt sancti, quomodo illis omnia in bonum cooperantur vel cooperata sunt, quomodo neque mors neque vita, neque angeli et cetera quae commemorat Apostolus in eodem loco, non potuerunt eos a caritate quae est in Christo separare, cotidie mater Ecclesia nascentibus sibi filiis declamat ex ipsorum triumphalibus gestis. Hoc idcirco agit, ut et ipsi fortes sint nec timeant, si evenerit eos tota die propter Deum morte affici et aestimari ut oves occisionis. Vivunt enim, vivunt sancti martyres incliti, nostrae fidei parentes, quorum sanguine terra purpurata est, quorum coronis caelum floret, quorum memoriis Ecclesiae ornatae sunt, quorum nataliciis insignita sunt tempora, quorum meritis sanitates crebrescunt.

  1. « Nous savons, dit l’Apôtre, que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu », et il ajoute aussitôt : « de ceux qui ont été appelés selon son dessein. » De ce dessein de Dieu — comment les saints ont été appelés selon ce dessein, comment tout concourt ou a concouru à leur bien, comment ni la mort ni la vie, ni les anges ni les autres choses que l’Apôtre mentionne au même endroit, n’ont pu les séparer de la charité qui est dans le Christ — l’Église, leur mère, parle fortement chaque jour aux enfants qu’elle enfante, à partir des actes triomphaux mêmes de ces saints. Elle le fait pour qu’eux aussi soient forts et n’aient pas peur, si jamais il leur arrivait d’être, tout le jour, livrés à la mort à cause de Dieu et considérés comme des brebis destinées à l’abattoir. Car ils vivent, ils vivent, les saints martyrs glorieux, les ancêtres de notre foi, eux dont le sang a teinté la terre de pourpre, dont les couronnes embellissent le ciel, dont les mémoires ornent l’Église, dont les jours de naissance au ciel marquent les temps liturgiques, dont les mérites multiplient les guérisons. (à suivre) 

samedi 10 août 2024

Isis à Vienne : un symbole du XIXe siècle

Sur l'Albertplatz, à Vienne (Autriche), une statue en fonte de la déesse Isis trône depuis son inauguration par l'empereur François 1er, en 1834. La fontaine approvisionnait le quartier, et depuis deux siècles a connu quelques vicissitudes : un déplacement du centre de la place vers le côté afin de laisser passer le tramway, des dégats consécutifs aux bombardements de la seconde guerre mondiale. Elle fut restaurée en 1961. Le visiteur peut aussi observer les bâtiments qui l'entourent : ils sont un rare témoignage de la Vienne du XVIIIe siècle, c'est-à-dire d'avant la période historiciste correspondant au règne de l'enpereur françois Joseph, au cours duquel la ville prit son aspect néo-classique actuel. Pour comprendre les raisons de cette érection, on peut évoquer l'influence de la Franc-Maçonnerie, dont Isis est une figure importante, mais aussi rappeler à l'aide des lignes suivantes, la place qu'Isis a tenu dans l'imaginaire et la création artistique du XIXe siècle.
"En tant que déesse myrionyme, elle est une figure favorite du syncrétisme, qui a particulièrement fleuri pendant la période révolutionnaire, syncrétisme qui s'appuie sur des etymologies plus ou moins fantaisistes : ainsi du rapprochement entre Isis et Jésus, directement, ou par le biais de la racine ischia (Jésus = Yeschua). Combinée à l'Isis de la franc- maçonnerie, cette Isis syncrétique est souvent invoquée par l’illuminisme de la fin du XVIIIe siècle. Ainsi de Cagliostro, caricaturé par Goethe en «grand Cophte», dont la femme crée la loge Isis, première loge féminine en France. Quand Nerval publie en 1849 ce qui deviendra le chapitre «Cagliostro» de ses Illuminés, il l'accompagne d'une vignette qui reproduit une gravure (intitulée La déesse Myrionime [sic] Isis ou la Nature personnifiée) illustrant l'ouvrage d'Alexandre Lenoir La Franche- maçonnerie révélée à ses adeptes (1814), gravure qui est elle-même une copie de celle de Kircher. Dans son effort pour lutter contre le christianisme tout en promouvant d'autres espaces de croyance, la Révolution a recours à Isis : le syncrétisme d'un Bonneville assimile les cultes druidique et isiaque; celui d'un Dupuis, qui interprète les religions comme des allégories de phénomènes naturels, fait de Notre-Dame un Iseum. Par ailleurs, la fête révolutionnaire du 10 août 1793 est mise sous le signe d'Isis : sur les ruines de la Bastille, on a édifié une statue colossale de la Nature, qui est en même temps une fontaine, symbole de régénération, à laquelle les représentants des fédérations viendront boire en disant : «Nous nous sentons renaître avec le genre humain». Cette statue est une Isis aux cent mamelles, comme l'attestent les gravures de l'époque9. La période révolutionnaire voit ainsi se confirmer une Isis parisienne dont le syncrétisme cultivait depuis longtemps l'image : à cause du vaisseau qui est l'élément essentiel des armes de Paris et à cause des lieux de culte isiaque qui y sont attestés, on faisait dériver son nom de celui d'Isis (Paris, Par-Isis). Hugo bâtira sur cette étymologie une antithèse révélatrice : « Elle s'appelle Lutetia, ce qui vient de lutum, boue, et elle s'appelle Parisis, ce qui vient d'Isis, la mystérieuse déesse de la Vérité. Ainsi vingt siècles ont amené la double idée, la souillure et le rayonnement, ce qui tache et ce qui éclaire, Lutetia et Parisis, la ville de la boue et la Ville de la Vérité à se résoudre en cette chose hideuse et splendide, prostituée et sainte que nous nommons Paris ». (Victor Hugo, Océan - Faits et croyances, Ceci et cela, fol. 67, 1838-1840) Le 20 janvier 1811, Napoléon, dont on sait la fascination pour l'Egypte, accepte qu'une figure d'Isis apparaisse sur la nef des armoiries de Paris. La Restauration abolira son décret. L'héritage, on le voit, est composite et sans doute étrange pour un historien moderne. L'utilisation que le XIXe siècle fait de la figure d'Isis ne l'est pas moins mais s'avère d'une grande richesse : assez loin du mythe et du culte égyptiens, elle apparaît fréquemment dans les débats sur «la question religieuse » et, plus profondément, elle devient, à travers le motif du voile, une figure majeure de la pensée de la connaissance, de la quête de vérité."