La
vie de saint Martin
(par
Sulpice sévère)
Sulpicius
Severus naquit en Aquitaine vers 360 après J.C. Il était de famille
noble et commença par exercer avec succès le métier d'avocat.
Après la mort de sa femme il distribua une partie de ses biens, se
retira du monde (399) et peut être devint prêtre.
Ami
de saint Paulin de Nole, Sulpice Sévère fut aussi disciple de saint
Martin. Son œuvre se divise en des « Chronica sacra »,
résumé de l'histoire du monde depuis la création jusqu'à l'année
400, mais surtout en des textes à la gloire de saint Martin : des
lettres, des dialogues (403-405) et principalement une vie (397).
Sulpice
Sévère fut le témoin oculaire de certains épisodes de la vie de
saint Martin. En effet,de 394 à la mort du saint (397), tous les
ans, voire deux fois l'an, Sulpice Sévère vint à Tours rencontrer
celui dont l’influence rayonnait sur toute la Gaule.
Mais
au-delà de l'affection portée à son sujet, l'auteur évoque aussi
certaines réalités du IV° siècle : les invasions barbares,
l’opposition entre les villes chrétiennes et les campagnes
païennes, la lutte difficile et souvent violente qui fut menée
contre les anciennes idoles.
Fougères (35) : statue de Sulpice Sévère dans l'église Saint-Sulpice |
Naissance
et jeunesse de Martin
(1) Martinus Sabaria Pannoniarum oppido oriundus fuit, sed
intra Italiam Ticini altus est, parentibus secundum saeculi
dignitatem non infimis, gentilibus tamen. Pater ejus miles primum,
post tribunus militum fuit. Ipse armatam militiam in adulescentia
secutus, inter scholares alas sub rege Constantino, deinde Juliano
Caesare militavit, non tamen sua sponte.
Martin
naquit à Sabarie, en Pannonie, de parents assez
distingués,
il fut élevé à Ticinum, ville d’Italie.Son
père fut d’abord soldat, puis devint tribun militaire. Martin
embrassa encore jeune la carrière des armes, et servit dans la
cavalerie d’abord sous Constance, puis sous Julien César ; non par
goût cependant.
(2) Mox mirum in modum totus in Dei opere conversus, cum esset
annorum duodecim, eremum concupivit ; fecissetque votis satis,
si aetatis infirmitas non obstitisset.
Bientôt
après il se donna tout entier au service de Dieu ; et, quoiqu’il
n’eut encore que douze ans il désirait passer sa vie dans la
retraite. Il aurait même exécuté ce projet, si la faiblesse de son
âge ne s’y fait opposée
(3) Sed cum edictum esset a regibus ut veteranorum filii ad
militiam scriberentur, prodente patre, qui felicibus ejus actibus
invidebat, cum esset annorum quindecim, captus et catenatus,
sacramentis militaribus implicatus est, uno tantum servo comite
contentus.
Lorsque
les empereurs eurent ordonné que les fils des vétérans entrassent
dans l’armée, son père lui-même, qui ne voyait pas d’un œil
favorable ces heureux commencements, le présenta pour le service
militaire ; ainsi, n’ayant encore que quinze ans, il fut enrôlé
et prêta le serment.
Martin
soldat
(4) Adsistere scilicet laborantibus, opem ferre miseris, alere
egentes, vestire nudos, nihil sibi ex militiae stipendiis praeter
quotidianum victum reservans.
Il
consolait les malheureux, secourait les pauvres, nourrissait les
nécessiteux, donnait des vêtements à ceux qui en manquaient, et ne
gardait de sa solde que ce qu’il lui fallait pour sa nourriture de
chaque jour.
Martin
donne la moitié de son manteau à un pauvre
(5)
Quodam itaque tempore, cum jam nihil praeter arma et simplicem
militiae vestem haberet, mediae hieme, obvium habet in porta
Ambianensium civitatis pauperem nudum.
Un
jour, au milieu d’un hiver dont les rigueurs extraordinaires
avaient fait périr beaucoup de personnes, Martin, n’ayant que ses
armes et son manteau de soldat, rencontra à la porte d’Amiens un
pauvre presque nu.
(6) Quid
tamen ageret ? Nihil praeter chlamydem qua indutus erat, habebat :
jam enim omnia bona sua pauperibus dederat. Arrepto itaque ferro quo
accinctus erat, mediam divisit, partemque ejus pauperi tribuit,
reliqua rursus induitur.
Mais
que faire ? il ne possédait que le manteau dont il était
revêtu, car il avait donné tout le reste ; il tire son épée, le
coupe en deux, en donne la moitié au pauvre et se revêt du reste.
(7)
Interea de circumstantibus ridere nonnulli, quia deformis esse
truncatus habitu videretur ; multi tamen, quibus erat mens
sanior, altius gemere, quod nihil simile fecissent, cum utique plus
habentes, vestire pauperem sine sua nuditate potuissent.
Quelques
spectateurs se mirent à rire en voyant ce vêtement informe et
mutilé ; d’autres, plus sensés, gémirent profondément de
n’avoir rien fait de semblable, lorsqu’ils auraient pu faire
davantage, et revêtir ce pauvre sans se dépouiller eux-mêmes.
Tableau du XIXème siècle, dans l'actuelle basilique de Tours. |
Martin
et le bandit de grand chemin
(8) Ac inter Alpes devia secutus,
incidit in latrones ; cumque unus securi elevata in caput ejus
librasset ictum, ferientis dexteram sinstinuit alter ; vinctis
tamen post tergum manibus, uni servandus et spoliandus traditur.
S’étant
d’abord égaré dans les Alpes, il rencontra des voleurs ; l’un
d’eux le menaça d’une hache qu’il brandissait au-dessus de sa
tête, un autre détourna le coup ; on lui lia ensuite les mains
derrière le dos, et il fut livré à l’un de ces brigands pour
être gardé et dépouillé.
(9)
Qui cum eum ad remotoria duxisset, percontari ab eo coepit, quisnam
esset ? Respondit christianum se esse. Quaerebat etiam ab eo an
timeret. Tum vero constantissime profitetur, nunquam se fuisse tam
securum, quia sciret misericordiam Domini maxime in tentationibus
adfuturam ; se magis illi doler, qui Christi misericordia,
utpote latrocinia exercens, esset indignus ; ingressusque
evangelicam disputationem, verbum Dei latroni praedicabat.
Ce
voleur le conduisit dans un endroit plus retiré encore, et lui
demanda qui il était. « Je suis chrétien, » répondit Martin
; il lui demanda ensuite s’il avait peur ; Martin répondit alors
avec courage qu’il n’avait jamais été plus tranquille, parce
qu’il savait que la miséricorde du Seigneur ne lui ferait jamais
défaut, surtout dans les épreuves, et que c’était plutôt lui
qu’il plaignait, puisque le brigandage auquel il se livrait le
rendait indigne de la miséricorde de Dieu. Puis, commençant à
développer la doctrine de l’Évangile ; il prêcha au voleur la
parole de Dieu.
(10) Latro credidit, prosecutusque
Martinum
viae reddidit, orans pro se Dominum precaretur.
Le
voleur crut en Jésus-Christ, accompagna Martin qu’il remit dans
son chemin, en se recommandant à ses prières.
Première
résurrection opérée par Martin
(11)
Quo tempore se ei quidam catechumenus junxit, cupiens sanctissimi
viri institui disciplinis ; paucisque interpositis diebus,
languore correptus, vi febrium laborabat. Ac tum forte Martinus
discesserat.
Sur
ces entrefaites, un catéchumène, désirant être instruit- par un
si saint homme, se joignit à lui ; mais peu de jours après il fut
pris de la fièvre. Martin était alors absent par hasard.
(12)
Et cum per triduum defuisset, regressus, corpus exanime invenit :
ita subita mors fuerat, ut absque baptismate humanis rebus excederet.
Corpus in medio positum tristi moerentium fratrum frequentabatur
officio, cum Martinus flens et ejulans accurit.
Cette
absence se prolongea trois jours encore, et à son retour il le
trouva mort. L’événement avait été si soudain, qu’il avait
quitté la terre n’ayant pas encore recru le baptême. Le corps
était placé au milieu de la chambre, où les frères se succédaient
sans cesse pour lui rendre leurs devoirs, lorsque Martin accourut,
pleurant et se lamentant.
(13)
Tum vero Sanctum Spiritum tota mente concipiens, egredi cellulam in
qua corpus jacebat, ceteros jubet ; ac, foribus obseratis, super
exanimata defuncti fratris menbra prosternitur ; et, cum
aliquandiu orationi incubuisset, sensissetque per Spiritum Domini
adesse virtutem, erectus paululum, et in defuncti ora defixus,
orationis suae ac misericordiae Domini intrepidus exspectabat
eventum.
Implorant
alors avec ardeur la grâce de l’Esprit Saint, il fait sortir tout
le monde, et s’étend sur le cadavre du frère. Après avoir prié
avec ferveur pendant quelque temps, averti par l’Esprit du Seigneur
que le miracle va s’opérer, il se soulève un peu, et, regardant
fixement le visage du défunt, il attend avec confiance l’effet de
sa prière et de la miséricorde divine.
(14)
Vixque duarum fere horarum spatium intercesserat, vidit defunctum
paulatim menbris omnibus commoveri. Tum vero magna ad Dominum voce
conversus, gratias agens, cellulam clamore compleverat.
À
peine deux heures s’étaient-elles écoulées, qu’il vit tous les
membres du défunt s’agiter faiblement ; et les yeux s’entrouvrir.
Alors Martin rend grâces à Dieu à haute voix, et fait retentir la
cellule des accents de sa joie.
Comment
Martin devient évêque de Tours
(15)
Sub idem fere tempus ad episcopatum Tuconicae ecclesiae petebatur.
Sed cum erui a monasterio suo non facile posset, Ruricius quidam,
unus e civibus, uxoris languore simulato, ad genua illius provolutus,
ut egrederetur obtinuit.
C’est
à peu près à cette époque que la ville de Tours demanda saint
Martin pour évêque ; mais comme il n’était pas facile de le
faire sortir de sa solitude, un des citoyens de la ville, nommé
Ruricius, se jeta à ses pieds, et, prétextant la maladie de sa
femme, le détermina à sortir. Un grand nombre d’habitants sont
échelonnés sur la route ; ils se saisissent de Martin, et, le
conduisent à Tours, sous bonne garde.
(16)
Ita, dispositis jam in itinere civium turbis, sub quadam custodia ad
civitatem usque deducidur. Mirum in modum incredibilis multitudo non
solum ex illo oppido, sed etiam ex vicinis urbibus ad suffragia
ferenda convenerat.
Là,
une multitude immense, venue non seulement de Tours mais des villes
voisines, s’était réunie afin de donner son suffrage pour
l’élection.
(17)
Una omnium voluntas, eadem vota, eademque sententia, Martinum
episcopatu esse dignissimum ; felicem fore tali Ecclesiam
sarcedote. Pauci tamen, et nonnulli ex episcopis qui ad constituendum
antistitem fuerant evocati, impie repugnabant, dicentes scilicent
indignum esse episcopatu hominem, veste sordidum, crine deformem. Sed
populo haec sententiae videbantur dementia.
L’unanimité
des désirs, des sentiments et des votes, déclara Martin le plus
digne de l’épiscopat, et l’Église de Tours heureuse de posséder
un tel pasteur. Un petit nombre cependant, et même quelques évêques
convoqués pour élire le nouveau prélat, s’y opposaient, disant
qu’un homme d’un extérieur si négligé, de si mauvaise mine, la
tête rasée et si mal vêtu, était indigne de l’épiscopat. Mais
le peuple, ayant des sentiments plus sages, tourna en ridicule la
folie de ceux qui, en voulant nuire à cet homme illustre, ne
faisaient qu’exalter ses vertus.
Le
tombeau du faux martyr
(18) Erat haud longe ab oppido proximus monasterio locus, quem falsa
hominum opinio, velut consepultis ibi martyribus, sacraverat :
nam et altare ibi a superioribus episcopis constitutum habebatur. Seb
Martinus, non temere adhibens incertus fidem, ab his qui majores natu
erant, presbysteris vel clericis flagitabat, sibi nomen martyris, vel
tempora passionis ostendi : grandi se scrupulo permoveri, quod
nihil certi constans sibi majorum memoria tradisset.
À
peu de distance de la ville et non loin du monastère, se trouvait un
endroit que l’on regardait à tort comme le lieu de la sépulture
de plusieurs martyrs, qui y recevaient un culte, car l’érection de
l’autel était attribuée aux évêques précédents. Mais Martin,
n’ajoutant point foi légèrement à des traditions incertaines,
demanda aux plus anciens des prêtres et des clercs de lui dire le
nom du prétendue saint et l’époque de son martyre. Il était fort
inquiet à ce sujet puisque la tradition ne rapportait rien de bien
avéré.
(19) Quodam die, paucis secum adhibitis fratribus, ad locum pergit ;
deinde, super sepulcrum ipsum adstans, oravit ad Dominum, ut quis
esset, vel cujus meriti sepultus, ostenderet. Tum conversus ad
laevam, vidit prope adsistere umbram sordidam, trucem ; imperat
nomen meritumque ut loqueretur.
Prenant
un jour avec lui quelques-uns des frères, il s’y rendit, et, se
tenant sur le sépulcre. Il pria le Seigneur de lui faire connaître
quel homme avait été enterré dans ce lieu, et quels pouvaient être
ses mérites. Alors il voit se dresser à sa gauche un spectre
affreux et terrible. Martin lui ordonne de déclarer qui il est et
quels sont ses mérites devant le Seigneur
(20) Nomen edicit, de crimine confitetur : latronem se fuisse,
ob scelera percussum, vulgi errore celebratum ; sibi nihil cum
martyribus esse commune, cum illos gloria, se poena retineret ;
tum Martinus jussit ex eo loco altare submoveri atque ita populum
superstionis illius absolvit errore.
Le
spectre se nomme, avoue ses crimes, dit qu’il est un voleur, mis à
mort pour ses forfaits et honoré par une erreur populaire ; qu’il
n’a rien de commun avec les martyrs, qui sont dans la gloire,
tandis qu’il est dans les tourments. Ceux qui étaient présents
entendirent cette voix étrange sans voir personne. Martin leur dit
alors, ce qu’il a vu, ordonne qu’on enlève l’autel, et délivre
ainsi le peuple de cette erreur et de cette superstition.
Un martyr, catacombe de Commodille. |
Martin
détruit les idoles
(21) Cum
templum in pago Aeduorum everteret, furens gentilium rusticorum in
eum irruit multido ; cumque unus, audacior ceteris, stricto eum
gladio peteret, rejecto palio, nudam cervicem percussori praebuit.
Nec cunctatus ferire gentilis, sed cum dexteram altuis extulisset,
resupinus ruit ; consternatusque divino metu, veniam precatur.
Pendant
qu’il y renversait encore un temple dans le pays des Eduens, une
multitude de païens furieux se précipita sur lui, l’épée à la
main. Martin, rejetant son manteau présenta son cou nu à
l’assassin. Le païen n’hésite pas ; mais, au moment où il
élève le bras, il tombe à la renverse, et, saisi d’une frayeur
miraculeuse, il demande pardon.
(22) Nec
dissimile huic fuit illud : cum eum idola destruentem cultro
quidam ferire voluisset, in ipso ictu ferrum ei de manibus excussum
non comparuit.
Voici
encore un fait du même genre : Martin était occupé à renverser
des idoles, un païen voulut lui donner un coup de couteau ; au
moment où il allait le frapper, le fer s’échappa de ses mains et
disparut.
(23) Plerumque
autem contradicentibus sibi rusticis, ne fana eorum destrueret, ita
praedicatione sancta gentilium animos mitigabat, ut luce eis
veritatis ostensa, ipsi sua templa subverterent.
La
plupart du temps, lorsque les paysans s’opposaient à la
destruction de leurs temples, il touchait tellement leurs cœurs en
leur annonçant la parole de Dieu, qu’éclairés de la lumière de
la vérité, ils les renversaient de leurs propres mains.
Destruction d'un arbre sacré par Martin de Tours. |
Martin
guérit un lépreux
(24) Apud
Parisianos vero, dum portam civitatis illius introiret, magnis secum
turbis euntibus, leprosum miserabili facie, horrentibus cunctis,
osculatus est atque benedixit.
Un
jour qu’il entrait à Paris, comme il passait par une des portes de
cette cité, avec une grande foule de peuple, il bénit et baisa un
lépreux dont la figure affreuse faisait horreur à tous.
(25) Statimque, omni malo emundatus. Postero die ad ecclesiam veniens,
nitenti cute, gratias pro sanitate quam receperat, agebat.
Celui-ci
fut aussi tôt guéri et vint le lendemain à l’église, avec un
visage, sain et vermeil rendre grâces à Dieu pour la santé qu’il
avait recouvrée.
Martin et le lépreux (une vieille carte postale) |
Martin
combat contre le diable
(26)
Frequenter autem
diabolus, dum mille nocendi artibus sanctum, virum conabatur
illudere, visibilem se eiformis diverssisimis ingerebat:nam interdum
in Jovis personam, plerumque Mercurii, persaepe etiam se Veneris ac
Minervae transfiguratum vultibus offerebat. Adversus quem, semper
interritus, signo se crucis et orationis auxilio protegebat.
Audiebantur etiam prelumque convicia quibus illum turba daemonum
protervis vosibus increpabat ; sed omnia falsa et vana
cognoscens, non movebatur objectis.
Le
démon, usant de mille artifices pour tromper le saint homme, se
présentait fréquemment à lui sous les formes les plus variées,
quelquefois sous celle de Jupiter, la plupart du temps sous celle de
Mercure, et même souvent de Vénus ou de Minerve. Martin luttait
intrépidement contre lui, soutenu par le signe de la croix et la
prière. On entendait très souvent dans sa cellule une troupe de
démons l’insulter grossièrement ; mais, sachant que tout cela
n’était qu’illusion et mensonge, il ne s’en inquiétait
nullement.
(27)
Testabantur etiam aliqui ex fratribus audisse se daemonem
protervis Martinum vocibus increpantem, cur intra monasterium aliquos
ex fratribus qui olim baptismum diversis erroribus perdidissent,
conversos ostea recepisset, exponentem crimina singulorum. Martinum
diabolo repugnantem respondisse constanter, antiqua delicta melioris
vitae conversatione purgari et per misericordiam Domini absolvendos
esse peccatis, qui peccare desinerent.
Quelques-uns
des frères attestent qu’ils ont entendu le démon reprocher à
Martin, d’une manière injurieuse, d’avoir introduit dans le
monastère des frères qui avaient perdu la grâce du baptême en
tombant dans diverses erreurs, de les avoir reçus après leur
conversion ; et en même temps le malin esprit énumérait leurs
crimes. Martin, lui résistant toujours, répondait que les anciennes
fautes sont effacées par une vie meilleure, et que, comptant sur la
miséricorde du Seigneur, l’Église doit absoudre ceux qui
renoncent à leurs péchés.
Saint Martin et le diable (vitrail d'une église d'Angleterre) |
Le
caractère de Martin
(28)
Nemo unquam illum vidit
iratum, nemo commotum, nemo moerentem, nemo ridentem : unus
idemque semper, coelestem quodamnodo leititiam vultu praeferens,
extra naturam ominis videbatur. Nunquam in illius ore nisi Christus,
nunquam in illius corde nisi pietas, nisi pax, nisi misercordiae
inerat.
Jamais
on ne le vit irrité ou ému, jamais dans la tristesse ou la gaieté
; il était toujours lui-même, une joie toute céleste était en
quelque sorte empreinte sur son visage, et il semblait élevé
au-dessus de la nature. Il avait toujours le nom du Christ sur les
lèvres ; dans son cœur, la piété, la paix et la miséricorde.
(29)
Plerumque etiam pro
eorum qui obtrectatores illius videbantur, solebat flere peccatis,
qui remotum et quietum venenatis linguis et vipereo ore carpebant.
Il
pleurait souvent sur les fautes de ses détracteurs, qui allaient le
chercher jusqu’au fond de sa retraite, au milieu du calme qu’il y
goûtait, pour l’attaquer avec leurs langues de vipères.
LA
MORT DE MARTIN.
(
… ) Martin connut sa mort longtemps à l'avance, et annonça aux
frères que la dissolution de son corps approchait. Sur ces
entrefaites, il eut des motifs pour visiter la paroisse de Condate
(Rennes). La division était dans le clergé de cette église, et il
voulait y rétablir la concorde. Martin, encore qu'il ignorât pas
que le terme de sa vie était proche, n'hésita pas à se mettre en
route dans cette circonstance, car il pensait que ce serait dignement
couronner ses travaux que de rendre la paix à cette paroisse. Il
partit donc, accompagné, comme à l'ordinaire, d'un grand nombre de
pieux disciples. ( … )
Il séjourna donc un peu dans le bourg ou dans l'église qu'il
était allé visiter, et y rétablit la paix parmi le clergé. Déjà
il songeait à retourner au monastère, lorsque tout à coup il sent
les forces de son corps l'abandonner, et, faisant assembler ses
disciples, il leur déclare que sa mort approche. Ce fut alors une
affliction, une désolation universelle ; ce fut un seul cri de
douleur : « Père, pourquoi nous abandonnes-tu ? A
qui laisses-tu tes enfants désolés ? Des loups avides se
jetteront sur ton troupeau ; et qui pourra, une fois le pasteur
frappé, nous défendre de leurs morsures ? ( … ) Prends donc
pitié de nous, que tu abandonnes ! »
Martin fut touché des ces gémissements et, comme il fut
toujours tout entier pénétré de miséricorde en Dieu, pleura,
dit-on. ( … ) Placé entre l'amour et l'espérance, il ne savait
presque ce qu'il devait préférer, ne voulant ni abandonner ses
disciples, ni plus longtemps être séparer du Christ. Toutefois,
n'abandonnant rien à ces désirs, ne laissant rien à sa volonté,
il se remettait tout entier au jugement et au pouvoir du Seigneur. (
… )
O homme incomparable ! La fatigue ne l'avait pu vaincre, la
mort ne devait pas le vaincre. ( … ) Aussi, bien que depuis
plusieurs jours, il fût en proie à une fièvre violente, cependant
il n'interrompait pas l’œuvre de Dieu. La nuit ne suspendait pas
ses oraisons ni ses veilles ; mais, sur la cendre et le cilice,
où il reposait comme sur un lit d'honneur, il forçait son corps
épuisé d'obéir à l'âme. Comme ses disciples le priaient de
souffrir au moins que l'on mis sous lui un peu de paille : «
Mes enfants, dit-il, il sied mal à un chrétien de mourir autrement
que sur la cendre ou la cilice. Si je vous laissais un autre exemple,
je pêcherais. ( … ) Laissez moi regarder le ciel plutôt que la
terre, et mettre mon âme dans le chemin par lequel elle doit aller à
Dieu. » Ce qu'ayant dit, il vit le diables auprès de lui.
« Qu'attends-tu là, bête cruelle ? Tu ne trouveras rien
en moi, misérable ! J serai reçu dans le sein d'Abraham. »
En disant ces mots, il rendit au ciel son âme épuisée de
travaux divins, et des témoins oculaires nous ont attesté que sur
sa dépouille inanimée ils virent briller la gloire de l'homme
glorifié.Son visage était plus brillant que la lumière du jour, et
sur son corps on ne voyait pas la moindre tache. Tous ses membres,
sans exception, avaient en quelque sorte la beauté d'un enfant de
sept ans. Qui aurait cru qu'il eût été couvert d'un cilice et
couché sur la cendre ?
(extrait de la lettre de Sulpice Sévère à Bassula, sa
belle-mère).
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